Nouveauté 2022:

Extrait:

 

Chapitre I

Cette journée s’annonce sous les meilleurs auspices. Mon jour est enfin arrivé, et je compte en savourer chaque heure, chaque minute, chaque instant. La nuit a été agitée, sans doute à cause du cocktail stress-excitation. J’ai encore du mal à réaliser le chemin parcouru. Oui, nous y sommes ! Dehors, le ciel est gris et l’atmosphère électrique, qu’importe ! Les éléments peuvent se déchaîner, rien n’entachera mon plaisir. Après une douche fraîche, un petit-déjeuner frugal et ma pause bouquin quotidienne, j’enfile ma tenue fétiche : jeans sombre, chemise bordeaux, des Dockside. J’attrape ma veste en daim et le cartable au cuir élimé hérité de mon grand-père qui ne m’a pas quitté depuis l’internat. Je dévale les escaliers quatre à quatre. En quelques enjambées, je rejoins ma voiture.

Elle ronronne comme au premier jour, et nous voilà partis vers la capitale. Arnaud, la route est à toi ! Au premier virage, je me connecte sur radio Nostalgie. Rien de tel qu’un bond dans le passé pour me sentir en accord avec mes émotions.

Être en phase avec moi-même est devenu primordial, ces derniers temps. Le ciel s’assombrit encore au-dessus de la campagne. Les nuages s’accumulent à une vitesse impressionnante, et le vent se lève. Je reste concentré sur la route et ma bulle. Une bonne demi-heure passe avant mon entrée en ville, et me voilà déjà coincé dans un embouteillage. Joies de la vie citadine…

J’avance comme un escargot, cerné de toutes parts par le flot de véhicules. Afin de ne pas perdre contenance dans une situation angoissante, j’applique un exercice suggéré par mon psy. Appellation contrôlée psychanalyste freudien par excellence, contre tous les jungiens, lacaniens ou autres « -iens ». Je suis donc le précepte de ce praticien hors normes, énoncé voici plus d’une année : je m’imagine dans la peau de quelqu’un d’autre. J’ignore pourquoi je me « branche » dessins animés, et me voilà projeté dans l’univers de Tom et Jerry.

Ces deux-là m’ont toujours beaucoup amusé. Jerry et ses tours de passe-passe pour échapper au gros chat en le narguant. Je me revois gamin, le dimanche soir, visionnant ces cartoons avec mes parents ou, le plus souvent, en compagnie de ma belle-mère. Nous finissions par connaître les histoires par cœur et riions bien avant le gag final.
Malgré ce dérivatif, bloqué dans cet habitacle, je sens la tension monter. Plus personne n’avance, et je n’ai nulle envie de gâcher ma matinée. Il est encore tôt ; j’ai tout le temps avant de me rendre au théâtre pour l’ultime répétition. À quoi bon m’énerver dans un bouchon?

Je décide de me garer à la première occasion et de poursuivre ma balade à pied. Après quelques mètres, je repère un emplacement libre et m’y faufile. Je saisis mon portable, constate que la batterie est plate. Bien sûr, j’ai oublié le chargeur sur mon bureau. Simultanément, le GPS s’éteint dans un bip étrange, la radio se tait, la clim’ s’arrête, et des nuages de plus en plus noirs assombrissent le ciel. Je ne laisse pas la panique me gagner. J’éteins le contact et quitte la voiture, décidé à ne pas m’encombrer de signaux négatifs. J’emporte par précaution le seul parapluie de bord, celui destiné à abriter une famille entière.